mercredi 18 juin 2014

Interview avec Bernard Blanc aka B.B. Brutus, batteur du groupe Ergo Sum





Louis Hauguel : Tout d’abord, merci d’avoir accepté cette interview. Comment a débuté l’aventure Ergo Sum, et comment vous êtes-vous rencontrés ?

B.B. Brutus : C’est tout simple. Certains musiciens de Lemon Pie, groupe d’Aix-en-Provence voulaient faire une autre musique. Donc ils cherchaient à rencontrer d’autres musiciens, même si leur choix musical n’était pas vraiment défini. J’avais fait partie d’un groupe, à Aix-en-Provence, durant les années 1966/1968, les What’s. J’avais gardé des contacts et c’est comme cela que j’ai fait leur rencontre. C’était à l’été 1970. J’étais avec le groupe Barricade, de Marseille (festivals de Biot-Valbonne). Ils me disaient qu’ils cherchaient des musiciens pour démarrer une formation. Je suis resté quelques jours en leur compagnie pour apprendre à les connaître, puis on s’est réunis dans une ferme pour jouer. D’autres musiciens étaient là ; en fait, il s’agissait de savoir si je faisais l’affaire ! On a ensuite cherché un lieu pour répéter ; pour habiter aussi, car sur les quatre qui étaient d’accord pour démarrer, il n’y en avait qu’un qui habitait la région — chez sa famille ! On a d’abord trouvé un garage, puis une toute petite maison, à quelques kilomètres d’Aix, à Gréasque, chemin de la fontaine des Dieux. On s’est donc installé là ; on a débuté à quatre, car le guitariste n’était pas trop chaud ! Quelques mois plus tard, après des jours et des nuits de travail, nous avions un répertoire d’une vingtaine de morceaux. On fait quelques bœufs avec des amis de passage, et le guitariste qui n’était pas très chaud est venu nous voir. On lui a montré nos morceaux, ça l’a emballé, et on s’est retrouvés fin prêts ; ils nous manquait seulement du matos. On avait un peu d’argent. On a acheté un camion d’occase, et on est partis pour l’Angleterre... le pays des Beatles, des Stones ! J’y croyais pas ! On a fait tous les magasins. Le chanteur a acheté la Gibson blanche (gravée), avec sa caisse, du groupe East of Eden. Moi, j’ai trouvé la cymbale qui m’a servi de gong sur le morceau Tijuana ! On a aussi acheté une sono WEN, des têtes d’amplis Orange, et d’autres accessoires encore. Ensuite, on est allé à un concert de Family. De retour, on s’est arrêtés à Saint-Étienne pour voir une amie et on a fait la connaissance du violoniste. Il était libre et on l’a emmené avec nous à Gréasque. On a repris alors les morceaux avec lui et c’est comme ça que Ergo Sum a démarré.

Louis : Quelles sont les grosses influences du groupe ? Quels sont les éléments qui ont contribués au son bien spécifique de votre album ?

B.B. : L’influence mutuelle, c’était les années 50 : le rockabilly. Ça, c’est sûr ! Des gars comme Elvis Presley, Eddie Cochran, Gene Vincent par exemple. En ce qui me concerne, à 10 ans, je participais à des concours de chant. J’avais comme pseudo Johnny-guitare, je chantais Tutti Fruttii en yaourt, et j’étais accompagné par Les Bretelles Rock ! Comme tous les jeunes, chacun a joué avec des groupes dont l’influence était le blues-rock anglais : les Rolling Stones, John Mayall, Eric Clapton, les Animals, les Yardbirds, j’en passe. Avec Ergo Sum, hormis le rock ’n’ roll, on écoutait du jazz, des musiciens comme John Coltrane, Miles Davis, Tony Williams, Wayne Shorter, mais aussi les Doors, Jimi Hendrix, Jethro Tull, King Crimson, Rory Gallagher. C’était une période riche, ouverte, variée : on voyageait musicalement ; quand on allait chez des amis, on écoutait des musiques différentes, on faisait des bœufs avec des musiciens de rencontre. Les énergies étaient différentes, ça donnait envie de jouer. Le guitariste adorait Alvin Lee (NDLR : le guitariste de Ten Years After) et son morceau favori était I’m Going Home. Le chanteur aimait beaucoup le jazz et la musique mexicaine.

Louis : Comment s’est passé l’enregistrement de Mexico au Château d’Hérouville ? As-tu quelques petites anecdotes à nous livrer ?

B.B. : On a enregistré en plusieurs fois. La première fois, c’était en août 1971. On est arrivés de nuit en camion, avec le matériel. Il était tard et on ne voulait déranger personne, alors on s’est garés dans une petite forêt, pas loin du Château. Le matin, on était malades à gerber : on s’était garés sous un pylône électrique de quatre cent mille volts. Le studio était superbe et on nous a reçu magnifiquement. On a eu le plaisir de voir MC5 jouer trois morceaux. Le groupe était filmé pour Pop 2, l’émission de Bernard Lenoir. Ils sont arrivés à 10 heures du soir dans un combi Volkswagen. Ils ont installé leur matos rapidement. Ils ont joué et ils sont repartis. Je n’en croyais pas mes yeux, là, devant moi, en live, les MC5. C’est pas tout. Le jour où on a enregistré All’s so comic (qui a duré la journée pour la mise en place), j’ai fait l’échange de mon T-shirt d’Ergo Sum — avec le pied dans la bouche : l’affiche de notre concert au festival Ampus Pop — avec un musicien du Grateful Dead (ils devaient jouer à Auvers-sur-Oise, mais le concert avait été annulé) ; lui m’a donné un T-shirt du Dead Number One USA, à l’effigie d’une Harley Davidson (devant et derrière) ; je ne l’ai pas quitté pendant des jours.

Louis : Un concert d’Ergo Sum, c’était quoi pour toi ? À quoi devait s’attendre le public en vous voyant ?

B.B. : Le premier concert que nous avons fait, c’était en 1970, à la Pointe Rouge, à Marseille, une boîte à la mode ; plein de groupes de l’époque y jouaient, dont Titanic. On était engagés pour le week-end. On se disait que c’était super, qu’on allait faire connaître Ergo Sum chez nous, à une heure de la maison. On avait à peine commencé notre set, on en était au troisième morceau quand le patron de la boîte nous a fait signe d’arrêter et nous a dit : « Hey, les gars ! Y a personne qui danse ! Vous n’avez pas autre chose ? ». On a remballé sans perdre un instant, on était trop avant-garde pour l’endroit, on était des extra-terrestres. Un concert d’Ergo Sum, c’était comme un voyage, une histoire que l’on racontait car les chansons véhiculaient une histoire, un climat, une atmosphère, et on était heureux de la partager avec le public. All’s so comic, enregistré live, donne une bonne idée de ce qu’étaient nos concerts. En fait, c’est à un spectateur qu’il aurait fallu demander ce qu’il pensait d’Ergo Sum ! Après la Pointe Rouge, nous sommes montés à Paris pour le « tremplin » du Golf Drouot, et on a gagné ce tremplin.

Louis : Vous avez tourné avec d’autres groupes de l’écurie Thélème, as-tu quelques anecdotes ?

B.B. : En fait, on n’a pas tellement tourné ! On a fait plusieurs fois le Golf Drouot d’Henry Leproux. On a participé à quelques festivals aussi : celui de Saint-Gratien en hommage au groupe Storm (trois jours de musique non-stop) ; le festival de Malaval, dans l’Ain ; Ampus Pop, en 1971. On a aussi joué au Gibus, à Paris, parrainés et présentés par Sacha Reins du magazine Best. Et puis, il y a eu un concert à Marignan, plus deux, trois concerts pour les radios : Europe 1 (l’émission Campus, avec une interview en compagnie de Patrick Topaloff), RMC, France Inter avec José Arthur, la maison de la radio aussi... J’en oublie, mais bon, on n’en a pas fait tellement jusqu’à ce que je m’en aille en 1973. J’étais parti faire les vendanges, puis un tas de circonstances ont amené le groupe à se séparer. Deux des premiers musiciens ont continué et remonté Ergo Sum, puis ça été fini.

Louis : Aujourd’hui votre album est une pièce de collection, et votre musique est très appréciée, pourquoi, selon toi, n’avez-vous pas eu plus de succès à l’époque ?

B.B. : Que dire ? Ergo Sum était original pour cette période, mais tout autant que d’autres groupes qui mélangeaient un tas d’influences, rock, blues, jazz, etc. Il se passait, en fait, ce qui s’est passé dans les années 80 avec le rock français : il y avait un tas de groupes aussi bons que Téléphone dans chaque ville, mais le show-biz a misé sur Téléphone, et voilà. À chaque époque, c’est pareil : on prend un groupe qui représente bien le moment, on le matraque en radio et hop, on passe à la caisse !

Louis : As-tu une idée du nombre d’exemplaires pressés à l’époque ?

B.B. : 10 000, je crois. Mais on peut toujours trouver le CD chez Musea, qui l’a réédité en 1994, et il y a une nouvelle réédition USA de 2007 sur Lyon Production, remixée par Vincent Tomatore ; il y a les liens des catalogues sur le myspace d’Ergo Sum.

Louis : L’album en lui même est très riche, « toujours énergique mais jamais violent », on note des titres comme Tijuana et Mexico, est-ce un hasard ou y a-t-il un intérêt prononcé pour l’Amérique latine ?

B.B : Comme je te le disais, le chanteur adorait la musique mexicaine — d’où Mexico et Tijuana. Il avait passé une partie de son adolescence au Mexique. Il nous parlait mexicano, on habla espagnol, et aussi de Pancho Villa, un personnage très aimé au Mexique.

Louis : Que penses-tu de la scène musicale française d’aujourd’hui, y a-t-il des groupes qui t’accrochent en particulier ?

B.B. : Je ne donnerai pas de noms, mais il y en a plein et grâce à Internet et tous les sites comme Starshit, Sellaband, Rock’N’France, Zikpot, Lyberty, Tagworld, Hitmuse, Musite, SFR Jeunes Talents et Youtube, tu as le choix et il y en a vraiment pour tous les goûts. Bon, les plus récents se ressemblent un peu, mais, quelques-uns devraient émerger s’ils tiennent la longueur. J’espère bien, sinon ça sera les machines qui donneront le ton. Ça va comme ça les robots, non ? Tant qu’il y aura des groupes, il y aura de la bonne musique. Merci Louis pour ce petit retour dans le passé, pas si lointain que ça finalement.

Louis : Merci à toi, surtout, d’avoir accepté de te prêter au jeu ; je pense que ça donnera envie aux gens de découvrir ou redécouvrir le groupe et l’album.

http://psychedelisme.com/Ergo-Sum

Louis Hauguel, 2010

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